dimanche 25 décembre 2011

Les boucs émissaires

La thématique des groupes boucs-émissaires en psychologie sociale est apparue à la fin de la seconde guerre mondiale alors que nombre de scientifiques tentaient de comprendre les processus psychologiques à la base du génocide juif. La question posée alors était la suivante : « qu’est ce qui permet, au niveau psychologique, de rendre compte du fait qu’un groupe aussi important d’individus différents se soit adonné à l’extermination massive d’individus d’un autre groupe ? » Plusieurs théories ont alors vu le jour dont les théories « classiques » du bouc-émissaire.

Deux versions de la théorie du bouc-émissaire ont été proposées (Allport, 1954) : la théorie des conflits internes et la théorie des événements externes. Le point commun à ces deux théories réside dans l’idée qu’une frustration (interne ou externe) engendre chez l’individu une tendance à l’agression envers la source de frustration et ce afin de rétablir un équilibre (interne ou externe) nécessaire à son bon fonctionnement. Lorsque l’individu est dans l’incapacité d’agir directement sur la source de la frustration (soit parce que la source de frustration est l’individu lui-même, soit parce que l’individu ne peut attaquer directement la source par peur de punition, soit parce que la source est trop puissante pour que l’individu puisse directement l’affronter), il déplace son agressivité sur une cible faible ou vulnérable que l’on appelle « le bouc-émissaire ». Pour justifier cette agression, l’individu attribue à la cible bouc-émissaire des traits négatifs ou indésirables suivant l’un ou l’autre processus de projection. Dans la projection dite « directe », l’individu attribue à la cible un trait négatif que lui-même possède mais qu’il refuse de se reconnaître (e.g., « ce n’est pas moi qui suis sexuellement dépravé, ce sont eux »). Dans la projection dite « complémentaire », l’individu recherche une série d’explications et/ou de justifications à son propre comportement agressif. Les stéréotypes défavorables attribués au groupe cible sont, alors, des rationalisations inconscientes des agressions commises par les individus envers la cible (e.g., « je n’aime pas les Noirs, donc, les Noirs doivent nécessairement posséder des traits qui créent en moi ce dégoût que j’ai d’eux).
Vers la fin des années soixante, suite à l’avènement de la psychologie cognitive, les théories du bouc-émissaire, reposant sur une approche essentiellement freudienne de la psychologie, furent largement abandonnées par les scientifiques. Par ailleurs, plusieurs auteurs en ont souligné les limitations. Premier problème, aucun élément théorique ne permettait de prédire les types de minorités susceptibles d’être choisies comme bouc-émissaire ni ne permettait d’expliquer le consensus groupal quant au choix de la cible (Allport, 1954, Tajfel, 1981). Ainsi, comment expliquer que les Juifs furent la cible privilégiée des Nazis pendant la seconde guerre mondiale ? Selon les théories du bouc-émissaire, les Allemands, frustrés de leur défaite lors de la grande guerre, auraient dû chercher comme exutoire à leur frustration un groupe cible « disponible » et « vulnérable ». Or, les stéréotypes caractérisant les Juifs à cette époque les décrivaient non pas comme vulnérables, mais davantage comme super-puissants, au centre d’une conspiration internationale dangereuse (Goldenhagen, 1997). Deuxièmement, les théories du bouc-émissaire parlent d’un processus violent relativement spontané, destiné à évacuer les frustrations et tensions. Or, pour en rester à l’exemple des Juifs, l’Holocauste, tel que les Nazis l’ont conçu et mis en place, n’avait rien de spontané. Au contraire, l’Holocauste est décrit comme un système de violence contrôlé, régulé et bureaucratisé à l’extrême (Glick, 2002).
Les faiblesses du modèle ont conduit les chercheurs à se désintéresser de la problématique du bouc-émissaire pendant près de 50 ans. Récemment, cependant, P. Glick (2002) a proposé un modèle alternatif aux théories classiques : le modèle idéologique du bouc émissaire. Selon cet auteur, le lien entre la frustration et l’agression de la cible n’est pas direct, mais il est nécessairement dépendant d’une idéologie sous-jacente. Lorsqu’un groupe se trouve en situation de dépression sociale ou économique, ce groupe cherche dans son environnement les causes potentielles à cette dépression ainsi qu’une ligne d’action capable d’apporter une solution. Une idéologie qui identifie les causes du problème et qui propose une solution attirera un grand nombre d’adhérents potentiels. On parlera d’idéologie du bouc-émissaire lorsque l’idéologie identifie comme source des difficultés un groupe particulier d’individus et que la solution offerte par l’idéologie est l’hostilité envers ce groupe. Un groupe d’individus risquera de devenir un bouc-émissaire d’autant plus que ce groupe est perçu comme une cause plausible à la détresse sociale et économique vécue. Pour ce faire, et contrairement aux théories classiques, la théorie du bouc-émissaire de Glick suppose que le groupe bouc-émissaire doit être perçu comme dangereux, menaçant, et suffisamment puissant pour avoir causé les difficultés. Le groupe bouc-émissaire n’est donc plus un groupe vulnérable mais un groupe influent. Les stéréotypes préalables au développement de l’idéologie indiqueront laquelle des minorités présentes dans la société correspond le mieux à cette image d’un ennemi puissant et maléfique qu’il convient d’exterminer.
Comme le montre ce bref résumé, les boucs-émissaires, le racisme et la discrimination sont des thématiques récurrentes en psychologie sociale. Bien que racisme et discrimination figurent en première ligne des publications dans notre domaine, les recherches traitant de la problématique des boucs-émissaires sont, en revanche, éparses. Les premières études sur le sujet ne se sont avérées ni fiables ni consistantes. De plus, le modèle de l’idéologie de Glick reste purement théorique et demande encore à être éprouvé de façon empirique.

James Fenimore Cooper

« Les grands principes parviennent rarement à ne pas créer l'injustice dans les cas particuliers.  »

Ernst - Scène Orientale


mercredi 14 décembre 2011

Victor Hugo - Discours : La misère - 9 Juillet 1949

Messieurs, je viens appuyer la proposition de l'honorable M. de Melun. Je commence par déclarer qu'une proposition qui embrasserait l'article 13 de la Constitution tout entier serait une œuvre immense sous laquelle succomberait la commission qui voudrait l'entreprendre ; mais ici, il ne s'agit que de préparer une législation qui organise la prévoyance et l'assistance publique. C'est ainsi que l'honorable rapporteur a entendu la proposition, c'est ainsi que je la comprends moi-même, et c'est à ce titre que je viens l'appuyer.
Qu'on veuille bien me permettre, à propos des questions politiques que soulève cette proposition, quelques mots d'éclaircissement.
Messieurs, j'entends dire à tout instant, et j'ai entendu dire encore tout à l'heure autour de moi, au moment où j'allais monter à cette tribune, qu'il n'y a pas deux manières de rétablir l'ordre. On disait que dans les temps d'anarchie il n'y a de remède souverain que la force ; qu'en dehors de la force tout est vain et stérile, et que la proposition de l'honorable M. de Melun et toutes autres propositions analogues doivent être tenues à l'écart, parce qu'elles ne sont, je répète le mot dont on se servait, que du socialisme déguisé. (Interruption à droite.)
Messieurs, je crois que des paroles de cette nature sont moins dangereuses dites en public, à cette tribune, que murmurées sourdement ; et si je cite ces conversations, c'est que j'espère amener à la tribune, pour s'expliquer, ceux qui ont exprimé les idées que je viens de rapporter. Alors, messieurs, nous pourrons les combattre au grand jour. (Murmures à droite.)
J'ajouterai, messieurs, qu'on allait encore plus loin. (Interruption.)
VOIX A DROITE. – Qui ? qui ? Nommez qui a dit cela !
M. Victor Hugo. – Que ceux qui ont ainsi parlé se nomment eux-mêmes, c'est leur affaire. Qu'ils aient à la tribune le courage de leurs opinions de couloirs et de commissions. Quant à moi, ce n'est pas mon rôle de révéler les noms qui se cachent. Les idées se montrent, je combats les idées ; quand les hommes se montreront, je combattrai les hommes. (Agitation.) Messieurs, vous le savez, les choses qu'on ne dit pas tout haut sont souvent celles qui font le plus de mal. Ici, les paroles publiques sont pour la foule, les paroles secrètes sont pour le vote. Eh bien ! je ne veux pas, moi, de paroles secrètes quand il s'agit de l'avenir du peuple et des lois de mon pays. Les paroles secrètes, je les dévoile ; les influences cachées, je les démasque : c'est mon devoir. (L'agitation redouble.) Je continue donc. Ceux qui parlaient ainsi ajoutaient que « faire espérer au peuple un surcroît de bien-être et une diminution de malaise, c'est promettre l'impossible ; qu'il n'y a rien à faire, en un mot, que ce qui a déjà été fait par tous les gouvernements dans toutes les circonstances semblables ; que tout le reste est déclamation et chimère, et que la répression suffit pour le présent et la compression pour l'avenir.» ( Violents murmures. – De nombreuses interpellations sont adressées à l'orateur par des membres de la droite et du centre, parmi lesquels nous remarquons MM. Denis Benoist et de Dampierre. )
Je suis heureux, messieurs, que mes paroles aient fait éclater une telle unanimité de protestations.
M. LE PRESIDENT. – L'Assemblée a en effet manifesté son sentiment.
Le président n'a rien à ajouter. (Très-bien ! très-bien.)
M. VICTOR HUGO. – Ce n'est pas là ma manière de comprendre le rétablissement de l'ordre… (Interruption à droite.)
UNE VOIX. – Ce n'est la manière de personne.
M. NOËL PARFAIT. – On l'a dit dans mon bureau. (Cris à droite.)
M. DUFOURNEL, à M. Parfait. – Citez, dites qui a parlé ainsi !
M. DE MONTALEMBERT. – Avec la permission de l'honorable M. Victor Hugo, je prends la liberté de déclarer…(Interruption.)
VOIX NOMBREUSES. – A la tribune ! à la tribune !
M. DE MONTALEMBERT, à la tribune. – Je prends la liberté de déclarer que l'assertion de l'honorable M. Victor Hugo est d'autant plus mal fondée que la commission a été unanime pour approuver la proposition de M. de Melun, et la meilleure preuve que j'en puisse donner, c'est qu'elle a choisi pour rapporteur l'auteur même de la proposition.
(Très-bien ! très-bien.)
M. VICTOR HUGO. – L'honorable M. de Montalembert répond à ce que je n'ai pas dit. Je n'ai pas dit que la commission n'eût pas été unanime pour adopter la proposition ; j'ai seulement dit, et je le maintiens, que j'avais entendu souvent, et notamment au moment où j'allais monter à la tribune, les paroles auxquelles j'ai fait allusion, et que, comme pour moi les objections occultes sont les plus dangereuses, j'avais le droit et le devoir d'en faire des objections publiques, fût-ce en dépit d'elles-mêmes, afin de pouvoir les mettre à néant. Vous voyez que j'ai eu raison, car dès le premier mot, la honte les prend et elles s'évanouissent. (Bruyantes réclamations à droite. Plusieurs membres interpellent vivement l'orateur au milieu du bruit.)
M. LE PRESIDENT. – L'orateur n'a nommé personne en particulier, mais ces paroles ont quelque chose de personnel pour tout le monde, et je ne puis voir dans l'interruption qui se produit qu'un démenti universel de cette assemblée ; je vous engage à rentrer dans la question même.
M. VICTOR HUGO. – Je n'accepterai le démenti de l'assemblée que lorsqu'il me sera donné par les actes et non par les paroles. Nous verrons si l'avenir me donne tort ; nous verrons si l'on fera autre chose que de la compression et de la répression ; nous verrons si la pensée qu'on désavoue aujourd'hui ne sera pas la politique qu'on arborera demain. En attendant, et dans tous les cas, il me semble que l'unanimité même que je viens de provoquer dans cette assemblée est une chose excellente… (Bruit. – Interruption.)
Eh bien ! messieurs, transportons cette nature d'objections au dehors de cette enceinte, et désintéressons les membres de cette assemblée. Et maintenant, ceci posé, il me sera peut-être permis de dire que, quant à moi, je ne crois pas que le système qui combine la répression avec la compression, et qui s'en tient là, soit l'unique manière, soit la bonne manière de rétablir l'ordre. (Nouveaux murmures.)
J'ai dit que je désintéresse complètement les membres de l'assemblée…(Bruit.)
M. LE PRESIDENT. – L'assemblée est désintéressée ; c'est une objection que l'orateur se fait à lui-même et qu'il va réfuter. (Rires. – Rumeurs.)
M. VICTOR HUGO. – M. le président se trompe. Sur ce point encore j'en appelle à l'avenir. Nous verrons. Du reste, comme ce n'est pas là le moins du monde une objection que je me fais à moi-même, il me suffit d'avoir provoqué la manifestation unanime de l'assemblée, en espérant que l'assemblée s'en souviendra, et je passe à un autre ordre d'idées.
J'entends dire également tous les jours… (Interruption.) Ah ! messieurs, sur ce côté de la question, je ne crains aucune interruption, car vous reconnaîtrez vous-mêmes que c'est là aujourd'hui le grand mot de la situation ; j'entends dire de toutes parts que la société vient encore une fois de vaincre…et qu'il faut profiter de la victoire. (Mouvement.) Messieurs, je ne surprendrai personne dans cette enceinte en disant que c'est aussi là mon sentiment.
Avant le 13 juin, une sorte de tourmente agitait cette assemblée ; votre temps si précieux se perdait en de stériles et dangereuses luttes de paroles ; toutes les questions, les plus sérieuses, les plus fécondes, disparaissaient devant la bataille à chaque instant livrée à la tribune et offerte dans la rue. (C'est vrai !) Aujourd'hui le calme s'est fait, le terrorisme s'est évanoui, la victoire est complète. Il faut en profiter. Oui, il faut en profiter ! Mais savez-vous comment ?
Il faut profiter du silence imposé aux passions anarchiques pour donner la parole aux intérêts populaires. (Sensation.) Il faut profiter de l'ordre reconquis pour relever le travail, pour créer sur une vaste échelle la prévoyance sociale ; pour substituer à l'aumône qui dégrade (Dénégations à droite) l'assistance qui fortifie ; pour fonder de toutes parts, et sous toutes les formes, des établissements de toute nature qui rassurent le malheureux et qui encouragent le travailleur ; pour donner cordialement, en améliorations de toutes sortes, aux classes souffrantes, plus, cent fois plus que leurs faux amis ne leur ont jamais promis ! Voilà comment il faut profiter de la victoire. (Oui ! oui ! Mouvement prolongé.)
Il faut profiter de la disparition de l'esprit de révolution pour faire reparaître l'esprit de progrès ! Il faut profiter du calme pour rétablir la paix, non pas seulement la paix dans les rues, mais la paix véritable, la paix définitive, la paix faite dans les esprits et dans les cœurs ! Il faut, en un mot, que la défaite de la démagogie soit la victoire du peuple ! (Vive adhésion.)
Voilà ce qu'il faut faire de la victoire, et voilà comment il faut en profiter. (Très-bien ! très-bien !)
Et, messieurs, considérez le moment où vous êtes. Depuis dix-huit mois, on a vu le néant de bien des rêves. Les chimères qui étaient dans l'ombre en sont sorties, et le grand jour les a éclairées ; les fausses théories ont été sommées de s'expliquer, les faux systèmes ont été mis au pied du mur ; qu'ont-ils produit ? Rien. Beaucoup d'illusions se sont évanouies dans les masses, et, en s'évanouissant, ont fait crouler les popularités sans base et les haines sans motif. L'éclaircissement vient peu à peu ; le peuple, messieurs, a l'instinct du vrai comme il a l'instinct du juste, et, dès qu'il s'apaise, le peuple est le bon sens même ; la lumière pénètre dans son esprit ; en même temps la fraternité pratique, la fraternité qu'on ne décrète pas, la fraternité qu'on n'écrit pas sur les murs, la fraternité qui naît du fond des choses et de l'identité réelle des destinées humaines, commence à germer dans toutes les âmes, dans l'âme du riche comme dans l'âme du pauvre ; partout, en haut, en bas, on se penche les uns vers les autres avec cette inexprimable soif de concorde qui marque la fin des dissensions civiles. (Oui ! oui !) La société veut se remettre en marche après cette halte au bord d'un abîme. Eh bien ! messieurs, jamais, jamais moment ne fut plus propice, mieux choisi, plus clairement indiqué par la Providence pour accomplir, après tant de colères et de malentendus, la grande œuvre qui est votre mission, et qui peut, tout entière, s'exprimer dans un seul mot : Réconciliation. (Sensation prolongée.)
Messieurs, la proposition de M. de Melun va droit à ce but.
Voilà, selon moi, le sens vrai et complet de cette proposition, qui peut, du reste, être modifiée en bien et perfectionnée.
Donner à cette assemblée pour objet principal l'étude du sort des classes souffrantes, c'est-à-dire le grand et obscur problème posé par Février, environner cette étude de solennité, tirer de cette étude approfondie toutes les améliorations pratiques et possibles ; substituer une grande et unique commission de l'assistance et de la prévoyance publique à toutes les commissions secondaires qui ne voient que le détail et auxquelles l'ensemble échappe ; placer cette commission très-haut, de manière à ce qu'on l'aperçoive du pays entier (Mouvement) ; réunir les lumières éparses, les expériences disséminées, les efforts divergents, les dévouements, les documents, les recherches partielles, les enquêtes locales, toutes les bonnes volontés en travail, et leur créer ici un centre, un centre où aboutiront toutes les idées et d'où rayonneront toutes les solutions ; faire sortir pièce à pièce, loi à loi, mais avec ensemble, avec maturité, des travaux de la législature actuelle le code coordonné et complet, le grand code chrétien de la prévoyance et de l'assistance publique ; en un mot, étouffer les chimères d'un certain socialisme sous les réalités de l'Evangile (Vive approbation) ; voilà, messieurs, le but de la proposition de M. de Melun, voilà pourquoi je l'appuie énergiquement. (M. de Melun fait un signe d'adhésion à l'orateur.)
Je viens de dire : les chimères d'un certain socialisme, et je ne veux rien retirer de cette expression, qui n'est pas même sévère, qui n'est que juste. Messieurs, expliquons-nous cependant. Est-ce à dire que, dans cet amas de notions confuses, d'aspirations obscures, d'illusions inouïes, d'instincts irréfléchis, de formules incorrectes, qu'on désigne sous ce nom vague et d'ailleurs fort peu compris de socialisme, il n'y ait rien de vrai, absolument rien de vrai ?
Messieurs, s'il n'y avait rien de vrai, il n'y aurait aucun danger. La société pourrait dédaigner et attendre. Pour que l'imposture ou l'erreur soient dangereuses, pour qu'elles pénètrent dans les masses, pour qu'elles puissent percer jusqu'au cœur même de la société, il faut qu'elles se fassent une arme d'une partie quelconque de la réalité. La vérité ajustée aux erreurs, voilà le péril. En pareille matière, la quantité de danger se mesure à la quantité de vérité contenue dans les chimères. (Mouvement.)
Eh bien ! messieurs, disons-le, et disons-le précisément pour trouver le remède, il y a au fond du socialisme une partie des réalités douloureuses de notre temps et de tous les temps (Chuchotements) ; il y a le malaise éternel propre à l'infirmité humaine ; il y a l'aspiration à un sort meilleur, qui n'est pas moins naturelle à l'homme, mais qui se trompe souvent de route en cherchant dans ce monde ce qui ne peut être trouvé que dans l'autre. (Vive et unanime adhésion.) Il y a des détresses très-vives, très-vraies, très-poignantes, très-guérissables. Il y a enfin, et ceci est tout à fait propre à notre temps, il y a cette attitude nouvelle donnée à l'homme par nos révolutions, qui ont constaté si hautement et placé si haut la dignité humaine et la souveraineté populaire, de sorte que l'homme du peuple aujourd'hui souffre avec le sentiment double et contradictoire de sa misère résultant du fait et de sa grandeur résultant du droit. (Profonde sensation.)
C'est tout cela, messieurs, qui est dans le socialisme, c'est tout cela qui s'y mêle aux passions mauvaises, c'est tout cela qui en fait la force, c'est tout cela qu'il faut en ôter.
VOIX NOMBREUSES. – Comment ?
M. VICTOR HUGO. – En éclairant ce qui est faux, en satisfaisant ce qui est juste. (C'est vrai !) Une fois cette opération faite, faite consciencieusement, loyalement, honnêtement, ce que vous redoutez dans le socialisme disparaît. En lui retirant ce qu'il a de vrai, vous lui retirez ce qu'il a de dangereux. Ce n'est plus qu'un informe nuage d'erreurs que le premier souffle emportera. (Mouvements en sens divers.)
Trouvez bon, messieurs, que je complète ma pensée. Je vois à l'agitation de l'assemblée que je ne suis pas pleinement compris. La question qui s'agite est grave. C'est la plus grave de toutes celles qui peuvent être traitées devant vous.
Je ne suis pas, messieurs, de ceux qui croient qu'on peut supprimer la souffrance en ce monde, la souffrance est une loi divine, mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu'on peut détruire la misère. (Réclamation. – Violentes dénégations à droite.)
Remarquez-le bien, messieurs, je ne dis pas diminuer, amoindrir, limiter, circonscrire, je dis détruire. (Nouveaux murmures à droite.) La misère est une maladie du corps social comme la lèpre était une maladie du corps humain ; la misère peut disparaître comme la lèpre a disparu. (Oui ! oui ! à gauche.) Détruire la misère ! oui, cela est possible. Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse ; car, en pareille matière, tant que le possible n'est pas fait, le devoir n'est pas rempli. (Sensation universelle.)
La misère, messieurs, j'aborde ici le vif de la question, voulez-vous savoir où elle en est, la misère ? Voulez-vous savoir jusqu'où elle peut aller, jusqu'où elle va, je ne dis pas en Irlande, je ne dis pas au moyen âge, je dis en France, je dis à Paris, et au temps où nous vivons ?
Voulez-vous des faits ? Il y a dans Paris…(L'orateur s'interrompt.)
Mon Dieu, je n'hésite pas à les citer, ces faits. Ils sont tristes, mais nécessaires à révéler ; et tenez, s'il faut dire toute ma pensée, je voudrais qu'il sortît de cette assemblée, et au besoin j'en ferai la proposition formelle, une grande et solennelle enquête sur la situation vraie des classes laborieuses et souffrantes en France. Je voudrais que tous les faits éclatassent au grand jour. Comment veut-on guérir le mal si l'on ne sonde pas les plaies ? (Très-bien ! très-bien !)
Voici donc ces faits :
Il y a dans Paris, dans ces faubourgs de Paris que le vent de l'émeute soulevait naguère si aisément, il y a des rues, des maisons, des cloaques, où des familles, des familles entières, vivent pêle-mêle, hommes, femmes, jeunes filles, enfants, n'ayant pour lits, n'ayant pour couvertures, j'ai presque dit pour vêtements, que des monceaux infects de chiffons en fermentation, ramassés dans la fange du coin des bornes, espèce de fumier des villes, où des créatures humaines s'enfouissent toutes vivantes pour échapper au froid de l'hiver. (Mouvement.)
Voilà un fait. En voici d'autres : Ces jours derniers, un homme, mon Dieu, un malheureux homme de lettres, car la misère n'épargne pas plus les professions libérales que les professions manuelles, un malheureux homme est mort de faim, mort de faim à la lettre, et l'on a constaté, après sa mort, qu'il n'avait pas mangé depuis six jours. (Longue interruption.) Voulez-vous quelque chose de plus douloureux encore ? Le mois passé, pendant la recrudescence du choléra, on a trouvé une mère et ses quatre enfants qui cherchaient leur nourriture dans les débris immondes et pestilentiels des charniers de Mont-faucon ! (Sensation.)
Eh bien, messieurs, je dis que ce sont là des choses qui ne doivent pas être ; je dis que la société doit dépenser toute sa force, toute sa sollicitude, toute son intelligence, toute sa volonté, pour que de telles choses ne soient pas ! Je dis que de tels faits, dans un pays civilisé, engagent la conscience de la société tout entière ; que je m'en sens, moi, qui parle, complice et solidaire (Mouvement), et que de tels faits ne sont pas seulement des torts envers l'homme, que ce sont des crimes envers Dieu ! (Sensation prolongée.)
Voilà pourquoi je suis pénétré, voilà pourquoi je voudrais pénétrer tous ceux qui m'écoutent de la haute importance de la proposition qui vous est soumise. Ce n'est qu'un premier pas, mais il est décisif. Je voudrais que cette assemblée, majorité et minorité, n'importe, je ne connais pas, moi, de majorité et de minorité en de telles questions ; je voudrais que cette assemblée n'eût qu'une seule âme pour marcher à ce grand but magnifique, à ce but sublime, l'abolition de la misère ! (Bravo ! – Applaudissements.)
Et, messieurs, je ne m'adresse pas seulement à votre générosité, je m'adresse à ce qu'il y a de plus sérieux dans le sentiment politique d'une assemblée de législateurs ! Et, à ce sujet, un dernier mot : je terminerai par là.
Messieurs, comme je vous le disais tout à l'heure, vous venez, avec le concours de la garde nationale, de l'armée et de toutes les forces vives du pays, vous venez de raffermir l'Etat ébranlé encore une fois. Vous n'avez reculé devant aucun péril, vous n'avez hésité devant aucun devoir. Vous avez sauvé la société régulière, le gouvernement légal, les institutions, la paix publique, la civilisation même. Vous avez fait une chose considérable… Eh bien ! vous n'avez rien fait ! (Mouvement.)
Vous n'avez rien fait, j'insiste sur ce point, tant que l'ordre matériel raffermi n'a point pour base l'ordre moral consolidé ! (Très-bien ! très-bien ! – Vive et unanime adhésion.) Vous n'avez rien fait tant que le peuple souffre ! (Bravos à gauche.) Vous n'avez rien fait tant qu'il y a au-dessous de vous une partie du peuple qui désespère ! Vous n'avez rien fait, tant que ceux qui sont dans la force de l'âge et qui travaillent peuvent être sans pain ! tant que ceux qui sont vieux et qui ont travaillé peuvent être sans asile ! tant que l'usure dévore nos campagnes, tant qu'on meurt de faim dans nos villes (Mouvement prolongé), tant qu'il n'y a pas des lois fraternelles, des lois évangéliques qui viennent de toutes parts en aide aux pauvres familles honnêtes, aux bons paysans, aux bons ouvriers, aux gens de cœur ! (Acclamation.) Vous n'avez rien fait, tant que l'esprit de révolution a pour auxiliaire la souffrance publique ! vous n'avez rien fait, rien fait, tant que dans cette œuvre de destruction et de ténèbres, qui se continue souterrainement, l'homme méchant a pour collaborateur fatal l'homme malheureux. !
Vous le voyez, messieurs, je le répète en terminant, ce n'est pas seulement à votre générosité que je m'adresse, c'est à votre sagesse, et je vous conjure d'y réfléchir. Messieurs, songez-y, c'est l'anarchie qui ouvre les abîmes, mais c'est la misère qui les creuse. (C'est vrai ! c'est vrai !) Vous avez fait des lois contre l'anarchie, faites maintenant des lois contre la misère ! (Mouvement prolongé sur tous les bancs. - L'orateur descend de la tribune et reçoit les félicitations de ses collègues.)

mardi 13 décembre 2011

A lire : Correspondance 1922-1936 de Marina Tsvetaeva, Boris Pasternak

La rencontre annoncée dans cette correspondance entre deux génies de poésie russe du 20ème siècle est un événement littéraire exceptionnel. Exceptionnelle, elle l'est doublement, cette relation épistolaire entre poète soviètique et poète de l'émigration, alors que, après une phase de liberté surveillée où les échanges étaient encore possibles, la culture russe se scinde irrémédiablement, et ceci pour toute la durée de l'expérience soviétique. Boris Pasternak et Marina Tsvetaeva s'étaient rencontrés à Moscou en 1918. Ce n'est qu'en 1922 qu'ils se sont véritablement découverts au travers de leurs écrits respectifs. Pendant quatorze années, ils ont entretenu une correspondance d'une densité et d'une intensité rares dans laquelle se tissent, étroitement mêlées, passion sentimentale et poésie, sur fond d'époque historique et d'histoire littéraire.

A Lire : Dictionnaire des voyageurs et explorateurs occidentaux Du XIIIe au XXe siècle de François Angelier

Pendant des siècles, se mettre en route ou s'embarquer releva du défi téméraire, voire de l'inconscience suicidaire. Pourtant, guidés par l'appât du gain, animés d'un grand désir de sciences ou ivres d'un vif appétit de merveilles, voués à la conversion des peuples ou poussés par l'évasion hors d'un monde misérable, des hommes et des femmes, parfois des familles entières, se mirent en route vers des horizons inconnus. S'échelonnant entre deux cataclysmes (les invasions mongoles au et le cataclysme atomique), ce Dictionnaire des voyageurs et des explorateurs occidentaux permet au lecteur de découvrir, outre les figures classiques du voyage et de l'exploration (de Marco Polo à Alexandra David Neel, en passant par Colomb, Cook, Charcot, etc .), toute une cohorte bigarrée de missionnaires dominicains et de conquistadors espagnols, d'amiraux anglais et de coureurs des bois canadiens, de diplomates italiens et de globe-trotters allemands, d'alpinistes autrichiens et de corsaires hollandais. Un livre magistral sur la grande parade des conquérants de la planète.

jeudi 27 octobre 2011

PLAGIAT DANS L'ART : Je partage totalement ce point de vue ( Bouhioui)

De nos jours le plagiat est encore plus facile. Internet contient des millions de photos d’œuvres de milliers d’artistes à travers le monde. C’est très facile de copier des œuvres quand on est encore inconnu. Encore mieux : on peut copier les meilleures d’entre-elles, comme celles qui gagnent des prix dans les compétitions par exemple. Oui, regarder les œuvres des grands gagnants de ces compétitions de peinture sur Internet, en choisir un et, s’il n’est pas encore aussi connu que Van Gogh ou Matisse, le copier purement et simplement ! C’est logique, un artiste qui gagne un concours international de peinture doit obligatoirement avoir quelque chose d’intéressant dans son art.
Il faut se méfier cependant car, il y a des pays où il est possible de gagner des concours grâce aux amis, cousins ou complices. On peut alors finir par copier un débile déguisé en artiste ! C’est mieux de choisir des gagnants de concours organisés dans des pays respectant l’art et les artistes.
Et ça peut marcher ! On peut ainsi passer quelques années comme une star de la peinture. Et avec beaucoup de chance, passer carrément toute une vie à l’ombre d’un artiste de talent et en faire de l’argent, peut-être beaucoup d’argent si, manquant d’amour propre, l’on ne s’intéresse qu’à ça. 

Oui, on peut avancer en trichant, on peut tromper tout le monde, mentir au public en affichant des émotions volées à d’autres artistes. Mais pas longtemps ! On peut tricher avec les gens, mais on ne peut pas tromper l’histoire ! Et bien sûr, seuls les artistes originaux en sortiront vainqueurs –pas en terme d’argent peut-être, mais en terme de reconnaissance et de prestige !
Ref.: (Num.87 BOUHIOUI) 15 août 2009


ART : Copie ou Recherche d'inspiration ? Exaspération



Les questions de copie et d'inspiration renvoient au code de la proprieté intellectuelle
qui definit les droits des auteurs d'oeuvres de l'esprit (Art. L.112-1 et suivant). 

"Les idées sont de libre parcours, elles ne sont pas protégées par le droit d'auteur".
Selon la loi, seule la forme que prend cette idée est protégeable,
( cf Le Guide juridique de l' Artiste Amateur de Francoise Airiau). 
Il n'y a pas de  probleme legal à s'inspirer d'une oeuvre d'art, 
si cette réalisation porte réellement l'empreinte de la personnalité de son auteur.
 
La condition pour ne pas tomber dans la contrefaçon est d'apporter clairement 
sa propre créativité: 
changement dans la composition, les couleurs, le style, les techniques..

L'important est qu'il n'y ait pas de confusion avec l'oeuvre originale, 
qu'on ne reprenne pas ses points caracteristiques.

Si c'est la cas.:


L'oeuvre ne pourra alors pas être montrée en dehors du cercle familial, ni vendue.


Quand à la copie pur, celle ci n'est pas interdite par la loi, 
mais soumise à conditions. On peut librement copier toute oeuvre 
dans le domaine public, 
c'est à dire dont l'auteur est décedé depuis plus de 70ans, et 

si l'auteur est encore vivant
( ou ses ayants droits, s'il est mort depuis moins de 70 ans),
il faut avoir son autorisation pour copier, exposer et vendre son oeuvre. 
S'il accepte, il peut demander une rémunération pour l'utilisation de sa creation. 
Une autorisation de l'auteur n'est cependant pas necessaire 
si la copie est uniquement destinée à l'usage privé du copiste

L'oeuvre ne pourra alors pas être montrée en dehors du cercle familial, ni vendue.

Alors oui ne cessez pas de créer 
et essayez d'éviter un maximum de copier ou vous inspirer..

Soyez créatif, soyez " vous même " 
il est insupportable de se promener dans des galeries d'arts et trouver 
des oeuvres de "soit disant" artiste et découvrir 
que ce ne sont que de pâles copies de ce que font le " Véritable Maître" ... 

Trop de confusion mêmes techniques...mêmes couleurs...même style....
Exemples concrets de personnes trop inspirés.. a venir...
très intriguant et surtout exaspérant !





dimanche 16 octobre 2011

When obstacles arise
you change your direction
to reach your goal

You do not change
your decision to get there.

dimanche 9 octobre 2011

La femme de Bagdad


Mindless Menace of Violence...Forty Years Later

INVICTUS - William Ernest Henley

Out of the night that covers me,
Black as the pit from pole to pole,
I thank whatever gods may be
For my unconquerable soul.

In the fell clutch of circumstance
I have not winced nor cried aloud.
Under the bludgeonings of chance
My head is bloody, but unbow'd.

Beyond this place of wrath and tears
Looms but the Horror of the shade,
And yet the menace of the years
Finds and shall find me unafraid.

It matters not how strait the gate,
How charged with punishments the scroll,
I am the master of my fate:
I am the captain of my soul.

Livre a lire.:Rayonnement de Byzance de Tania Velmans

Aujourd'hui encore, Byzance est synonyme de luxe, de beauté, d'une immense richesse tant matérielle que culturelle. Ce livre nous rappelle pourquoi. Dans un brillant exposé de 400 pages, découpé de manière chronologique, très universitaire, Tania Velmans nous raconte l'art byzantin. De Constantinople, fondée par les Romains sur le modèle de leur "ville éternelle", à la Byzance lumière de l'Occident au Moyen Age, l'auteur nous retrace l'évolution d'un art pas comme les autres. Art universel, au confluent de l'Occident gréco-latin et de l'Orient, donc à l'inspiration vaste, qui a donné naissance à un style unique, au rayonnement capable de toucher le continent eurasien d'est en ouest, rayonnement dont ce livre se fait l'écho. En s'attachant le plus possible à lier l'évolution de l'art byzantin avec les évolutions politiques et historiques, Tania Velmans fait d'une pierre deux coups, doublant ce livre d'art d'un livre d'histoire très précis.Ici l'accent est surtout mis sur les arts graphiques - mosaïques, fresques, peintures : de quoi nous livrer de superbes reproductions. Si dans les chapitres les textes sont accompagnés d'images en noir et blanc plus pédagogiques qu'esthétiques, chaque fin de chapitre est complétée de magnifiques planches saisissantes, principalement d'influence religieuse. Les couleurs éclatantes nous sautent aux yeux, la grâce des formes impressionne et le choix pertinent de certains détails de fresques, des visages surtout, nous dévoile une surprenante modernité dans l'approche des traits et le choix des formes. 'Rayonnement de Byzance' porte bien son nom, tant il nous met en face d'un art qui n'a rien perdu de sa vigueur et de son pouvoir sur le spectateur.par Mikaël Demets

Gilbert Sinoué

«Il faut garder en mémoire nos rêves, avec la rigueur du marin qui garde l'oeil rivé sur les étoiles. Ensuite, il faut consacrer chaque heure de sa vie à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour s'en approcher, car rien n'est pire que la résignation.»

mardi 4 octobre 2011

A lire.: Les amandes amères de Laurence Cossé

Découvrant que Fadila ne sait li lire ni écrire, Edith entrevoit à quel point la vie est compliquée pour un analphabète et combien c'est humiliant. Elle lui propose de lui apprendre à lire le français.
Fadila n'est pas jeune. Édith n'est pas entraînée. L'apprentissage s'avère difficile. Ce qui semblait acquis un jour est oublié la semaine suivante.
 si Fadila tant de mal à progresser, c'est que sa vie entière est difficile. Ce n'est pas une marginale. Elle a une famille, un toit, du travail. Mais la violence a marqué son rapport aux autres, depuis l'adolescence. Elle a de la rancœur contre son Maroc natal et, en France, elle ne se fait pas à la solitude. Elle vit dans une perpétuelle inquiétude.
Édith, de son côté, se sent de plus en plus démunie dans cette aventure dont elle a pris la responsabilité et qui va l'entraîner beaucoup plus loin qu'elle n'aurait cru.
Une amitié singulière, rugueuse et douce, amère, cocasse.

Napoléon 1er, Empereur des Français, 3 décembre 1805 au matin.

Soldats, je suis content de vous ! Vous avez à la journée d'Austerlitz justifié tout ce que j'attendais de votre intrépidité. Vous avez décoré vos aigles d'une immortelle gloire. Une armée de 100 000 hommes commandée par les Empereurs de Russie et d'Autriche a été en moins de quatre heures ou coupée ou dispersée. Ce qui a échappé à votre fer s'est noyé dans les lacs. 40 drapeaux et les étendards de la Garde Impériale de Russie, 120 pièces de canons, 20 généraux et plus de 30 000 prisonniers sont les résultats de cette journée à jamais célèbre. Cette infanterie tant vantée, en nombre si supérieur, n'a pas résisté à votre choc. Et désormais vous n'avez plus de rivaux à redouter. Ainsi en deux mois, cette troisième coalition a été dissoute et vaincue; la paix ne peut plus être éloignée. Mais comme je l'ai promis à mon peuple avant de passer le Rhin, je ne ferai qu'une paix qui vous donne des garanties et assure des récompenses à nos Alliés.
Soldats, lorsque le peuple français plaça sur ma tête la couronne impériale, je me confiais à vous pour la maintenir toujours dans ce haut état de gloire qui seul pouvait lui donner un prix à nos yeux. Mais, dans le même moment, mes ennemis ne pensaient qu'à la détruire et l'avilir. Et cette couronne de fer conquise par le sang de tant de Français, ils voulaient m'obliger à la placer sur la tête de nos plus cruels ennemis, projet téméraire et insensé que le jour même de l'anniversaire du couronnement de votre Empereur vous avez anéanti et confondu. Vous leur avez appris qu'il était plus facile de vous braver et de vous menacer que de vous vaincre.
Soldats, lorsque tout ce qui est nécessaire pour assurer le bonheur et la prospérité de votre Patrie sera accompli, je vous ramènerai en France. Là, vous serez l'objet de mes plus tendres sollicitudes. Mon peuple vous recevra avec joie et il vous suffira de dire "J'étais à la bataille d'Austerlitz" pour qu'on vous réponde "Voilà un brave !".

samedi 24 septembre 2011

L'envol.

Ce film est une métaphore poétique de l'Envol qu'Air France offre au spectateur. Il met en scène deux magnifiques danseurs, qui évoluent entre ciel et ciel dans une confiance absolue et s'envolent, pour s'abandonner totalement au plaisir du voyage.

Pour donner naissance à ce moment d'émotion unique, Air France a réuni de nombreux talents.
RÉALISATEUR Angelin Preljocaj, interprété par Benjamin Millepied et Virginie Caussin.
PHOTOGRAPHIE Stéphane Fontaine et Angelin Preljocaj.
CHORÉGRAPHIE inspirée du ballet «Le Parc» conçu par Angelin Preljocaj.
MUSIQUE Adagio du concerto pour piano n° 23 de Mozart interprété par la pianiste Vanessa Wagner et l'orchestre Les Siècles dirigés par le chef François-Xavier Roth.
AGENCE DE PUBLICITÉ BETC EURO RSCG

Air France "L'Envol" - Film publicitaire 2011 - FR

mercredi 14 septembre 2011

VIDE GRENIER DU 8EME ARRONDISSEMENT - SAMEDI 1ER OCTOBRE 2011

Proche du parc Monceau, 

RUE TREILLARD - RUE CORVETTO - RUE MALEVILLE - 75008 PARIS

6 ème  EDITION - 200 EXPOSANTS -

VIDE GRENIER, STYLE MARCHE AUX PUCES .

Animations : Fanfare de chasse et nombreux restaurants et commerces sur place.

Entrée gratuite visiteurs

Métro : Monceau - Saint Lazare (5min) - Villiers - Saint Augustin


Prix exposant : 10 euros le mètre pour les habitants du 75008

Inscriptions: 8 rue corvetto - ACTEC - La petite boutique
de 11h00 à 17h00 ( venir avec copie de carte d'identité pour inscription)


01 42 89 19 48 
N'hésitez pas a faire circuler l'information, la relayer a vos amis... sans oublier vos amis journalistes, c'est "the place" pour acheter son tailleur Chanel à 50 euros,le sac Hermès à 100, les couverts en argent au prix d'une brosse a dent...bref on y va en courant !-)

WEIZ - ODALISQUE


dimanche 7 août 2011

dimanche 7 août 2011, sur France 2 dans l'émission 13h15

Une mission à suivre sur France 2
En avril 2011, La Chaîne de l'Espoir lance sa première mission panafricaine. Des enfants malades du cœur sont transférés de Bamako à Dakar pour être opérés par des chirurgiens africains. Ils sont accueillis par des familles d'accueil bénévoles. Un modèle de développement pour l'Afrique !Suivez cette mission dimanche 7 août 2011, sur France 2 dans l'émission 13h15

1000 cœurs du Mali au Sénégal | La Chaîne de l'Espoir

1000 cœurs du Mali au Sénégal | La Chaîne de l'Espoir

mercredi 3 août 2011


A lire. La pitié dangereuse de Stefan Zweig

La pitié dangereuse fut le seul roman de Stefan Zweig. Ecrit à la veille de la Seconde guerre mondiale, il nous présente, d'une part, le portrait d'une petite ville autrichienne en 1913, et d'une façon plus large, celui de l'Autriche toute entière peu avant la chute de l'Empire austro-hongrois, dont la capitale est encore à l'époque un carrefour de civilisations et de cultures.
Il évoque aussi, et c'est ce qui compose l'intrigue principale de l'oeuvre, le cas presque pathologique d'un jeune officier Autrichien victime de sa pitié pour une jeune femme paraplégique. Ce sentiment que l'on présente habituellement comme une vertu (la miséricorde chrétienne), devient ici le rouage essentiel du drame. 
Grand ami de Freud, Stefan Zweig s'est toujours efforcé  de développer dans son oeuvre l'aspect psychanalytique des personnages et des situations, qui devient souvent ainsi l'élément essentiel de l'intrigue, au-delà de toute considération d'ordre historique. Le joueur d'échecs, par exemple, dépeint les souffrances et les traumatismes d'un homme qui, ayant été capturé par les nazis, vécut dans un isolement total, privé de tous les objets qui composent notre existence d'être humain : une table, une chaise, un livre, du papier, un stylo. La geôle dans laquelle il est maintenu devient alors un véritable terrain expérimental : privé de toutes ces choses qui contribuent à nourrir et entraîner son esprit, qu'adviendra-t-il de cet homme ? Quels changements pourrons-nous constater en lui ? 
Pour son seul et unique roman, Zweig décrit les étapes d'une autre expérience : confronter un jeune homme au coeur tendre à la misère humaine, et lui donner les moyens de la soulager, au moins partiellement, au prix du douloureux sacrifice de sa propre existence sentimentale. Quel sera le choix de notre héros ?
"Il y a deux sortes de pitié. L'une, molle et sentimentale, qui n'est en réalité que l'impatience du coeur de se débarrasser le plus vite de la pénible émotion qui vous étreint devant la souffrance d'autrui, qui n'est pas du tout la compassion, mais un mouvement instinctif de défence de l'âme contre la souffrance étrangère. Et l'autre, la seule qui compte, la pitié non sentimentale mais créatrice, qui sait ce qu'elle veut et est décidée à persévérer jusqu'à l'extrême limite des forces humaines." (La pitié dangereuse, prologue)

L'histoire : En 1913, dans une petite ville de garnison autrichienne, Anton Hofmiller, jeune officier de cavalerie, est invité dans le château du riche Kekesfalva. Au cours de la soirée, il invite la fille de son hôte à danser, ignorant qu'elle est paralysée. Désireux de réparer sa "gaffe", Anton, pris de pitié pour l'infirme, multiplie bientôt ses visites. Edith de Kekesfalva cache de plus en plus mal l'amour que lui inspire le bel officier, qui lui ne s'aperçoit de rien, jusqu'au moment où il sera trop tard. Car est dangereuse la pitié "qui n'est en réalité que l'impatience du coeur de se débarrasser le plus vite possible de la pénible émotion qui vous étreint devant la souffrance d'autrui".

 Il s'agit sans aucun doute de la plus belle oeuvre de Stefan Zweig. L'originalité du thème, la complexité des personnages, le déroulement impitoyable du drame jusqu'à son dénouement inévitable font de ce roman un chef-d'oeuvre incontestable, tantôt émouvant, tantôt dur et cruel. On y découvre également la peinture nostalgique d'une civilisation bientôt morte et condamnée par l'histoire.

L'oeuvre de Stefan Zweig ne se laisse pas oublier. Dérangeante par la vision qu'elle donne de l'âme humaine, de ses faiblesses que l'on veut déguiser en vertus, elle nous poursuit bien après avoir achevé sa lecture. Et si l'on veut être honnête avec soi-même, il n'est pas possible de ne pas compatir aux tourments de ce jeune officier, et de partager avec lui ses indécisions et ses erreurs.
Un roman ambigu et puissant, qui frappe par son intelligence et la justesse de son analyse.

La nuit / Extrait de "On est là mais !a ne durera pas, on peut toujours sourire du reste"

Tout ce que j’avais à faire alors c’était m’ouvrir, m’offrir sans rempart à ce qui surgissait. Et tout était puissant, violent et déchiré. Rien de ce qui arrivait n’arrivait doucement. Des paquets de mer, des orages, des vents tournoyants. Des pluies torrentielles. Et quand elles ne l’étaient pas c’était du crachin à se flinguer, à tout laisser de désespoir. Parfois, cependant, les nuages se retiraient, laissant place à la lumière, mais ça ne durait jamais longtemps, et puis ça brillait trop fort, noyant le monde dans une blancheur aveuglante où tout brûlait. Il n’y avait pas de milieu, pas de petit compte ; la nuit c’était comme ça, cash. Un tumulte de songes et de rêves mêlés charriés par des fleuves en crue. Un grand poème épuisant, fantasque, ébouriffé, hirsute, traversé de folles énergies et impossible à écrire parce que les mots n’en raconteraient jamais que l’écume. Une histoire du dessous aussi, du ventre de la terre d’où remontaient des morts poussés par leurs regrets. Ils traversaient les murs de ma chambre puis s’asseyaient pour parler de leurs échecs. Ils se lamentaient de n’avoir su saisir leurs existences, d’avoir raté leur séjour ici-bas. Et toujours ils me demandaient si par bonté quelqu’un de ma connaissance qui en aurait le pouvoir et dont ils ignoraient le nom ne pourrait pas leur accorder une nouvelle chance pour prouver ce qu’ils étaient capables de faire, maintenant qu’ils savaient. Je les priais de me pardonner mais je n’avais personne dans mes relations qui puisse réaliser leur souhait. Dépités, ils s’évanouissaient doucement dans la nuit et j’entendais quelques instants encore leurs paroles désolées s’éloigner avec eux dans cette odeur de forêt humide qu’ils laissaient à leur traîne.

mardi 19 juillet 2011

Accueillir c'est être ouvert à la réalité telle qu'elle est..- Jean Vanier

Accueillir, c’est être ouvert à la réalité telle qu’elle est, en la filtrant le moins possible. J’ai découvert qu’il y a beaucoup de filtres en moi, par lesquels je sélectionne et je modifie la réalité que je veux accueillir ; la réalité du monde, des personnes..
Je choisis ce qui me plaît, ce qui flatte mon moi et me valorise. Je rejette ce qui me fait souffrir, me dérange et me donne un sentiment d’impuissance ; ce qui peut faire remonter en moi des sentiments de culpabilité ou de colère. 
Nous avons tous, depuis notre petite enfance, des filtres qui protègent la vulnérabilité de notre coeur et de notre esprit. Grandir, c’est enlever ces filtres et accueillir la réalité qui est donnée, non plus à travers des idées préconçues, des théories, des jugements préfabriqués, des préjugés, ou à travers notre affectivité blessée, mais telle qu’elle est. Ainsi, nous sommes dans la vérité, et non plus dans un monde d’illusions.

vendredi 8 juillet 2011

David Servan-Schreiber: «Il faut s’accrocher jusqu’au bout»

Il n'y a absolument aucun doute, sur l'utilité des livres et méthodes de David, qui contribuent quoi qu'il arrive a une vie meilleure pour les cancéreux, et pour tous , c'est sur que ça marche ! Il ne nous a jamais promis la vie éternelle, son approche de la mort, par laquelle nous passerons tous, est très touchante, et peut nous servir dans l'accompagnement des malades et des mourants. Je m'autorise a copier cet article, pour ceux qui n'ont pas pu le lire.VMM.




Sans pathos, avec une sérénité socratique, le neuropsychiatre, auteur du best-seller Anticancer, parle de son combat contre la maladie qui le rattrape.
Eve Roger, ©2011 Le Nouvel Observateur, tous droits réservés




Rendez-vous à 18 heures dans l’appartement familial des Servan-Schreiber, à Neuilly. Après quelques minutes d’attente, David entre dans le petit salon où se déroulera l’interview, accompagné de ses deux frères, Emile et Franklin. Malgré sa jambe gauche paralysée, le neuropsychiatre parvient à avancer. Franklin, derrière lui, soulève la jambe de son frère avec sa propre jambe. Belle image que ce ballet fraternel, deux hommes au même regard bleu intense, soudés comme des siamois. David Servan-Schreiber, pantalon beige, chemise et pull bleu clair, s’installe dans un fauteuil, le bras gauche immobilisé dans une écharpe. Près de lui, Emile et Franklin, ainsi que Catherine, son attachée de presse et amie depuis la publication de Guérir, en 2003.


Matthieu Ricard, moine bouddhiste et écrivain, habite au Népal dans l’Himalaya. Ce jour-là, il profite de son séjour parisien pour venir saluer David Servan-Schreiber, son ami depuis dix ans. Tous deux de formation scientifique, ils partagent la conviction que la méditation a des effets positifs sur la santé mentale et physique.
Comment allez-vous aujourd’hui? Comment vous sentez-vous?

(David Servan-Schreiber parle en chuchotant, très lentement, au rythme du stylo de l’intervieweuse sur le bloc-notes.) Je me sens bien. Je suis content d’être là, avec vous, et d’avoir cet entretien, avec le soutien de Catherine.
Comment a évolué votre état de santé depuis un an?

Il y a un an, tout allait très bien. J’acceptais des voyages, des conférences… Je jogguais encore, je jouais au squash plusieurs fois par semaine. J’allais assez souvent me promener dans Paris . On préparait une semaine de vacances ensemble, au Portugal. J’avais accepté de participer à Lisbonne à une grande conférence mondiale sur la résistance au processus de vieillissement. J’y suis allé seul finalement et, pendant trois jours, j’ai pensé à la mort. C’était une espèce de séance méditative qui m’a fait du bien.
Vous pensiez à votre propre mort? Existe-t-il dans ce cas-là des pensées qui rassurent ou qui consolent?

La première idée qui console, c’est qu’il n’y a rien d’injuste dans la mort. Dans mon cas, la seule différence, c’est le moment où cela arrive, pas le fait que cela arrive ( ndlr: il a fêté ses 50 ans en avril ). La mort fait partie du processus de vie, tout le monde y passe. En soi, c’est très rassurant. On n’est pas détaché du bateau. Ce n’est pas comme si quelqu’un disait: «Toi, tu n’as plus de carte, tu ne peux plus monter.» Ce quelqu’un dit simplement:
«Ta carte s’épuise, bientôt, elle ne marchera plus. Profites-en maintenant, fais les choses importantes que tu as à faire.»
Quelles sont-elles, ces choses importantes qui restent à faire?

Déjà, dire au revoir aux gens qui sont sur le bateau et qu’on aime. Ensuite, dire pardon à ceux à qui il faut dire pardon, et s’entendre dire pardon de ceux dont on a besoin qu’ils nous disent pardon.
Vous l’avez déjà fait? Ça a marché?

Pas toujours… Je peux essayer avec Catherine si vous voulez! (Elle rit.)
Pourquoi faut-il se dire au revoir?

C’est très important, même si c’est assez lourd. Il faut prendre rendez-vous avec quelqu’un en lui disant: «J’ai des choses importantes à te dire», et le moment venu, annoncer: «Il faut que je te dise au revoir.»
Dire au revoir plusieurs fois, c’est une façon de dédramatiser ce moment?
Oui, c’est une façon de ne pas donner aux autres le sentiment qu’on les attire dans un piège. Même si c’est un peu vrai…
On ne sait pas toujours comment réagir avec une personne qui vous annonce une maladie grave. Quelles sont les paroles qui sonnent juste?

Je pense que c’est beaucoup plus facile que ce que l’on se raconte. Il faut dire des choses qui manifestent que la personne est importante pour nous, qu’on a envie d’être là pour l’accompagner. Le plus simple, c’est de mettre un bras sur son épaule et dire: «Je suis désolé d’apprendre ça, vraiment, cela me fait beaucoup de peine.» Il faut que ce soit sincère. Généralement, ça l’est.
Ces paroles-là vous consolent?

Non, on ne peut pas se consoler avec cette histoire, mais ça me rassure, oui.
Pourquoi avez-vous voulu écrire ce livre?

(On sonne à la porte d’entrée.) Le plus important dans la situation que je vis maintenant, c’est de se mettre au carré. De prendre le temps de réfléchir à certaines choses: qu’est-ce qu’on se dit? Comment on se le dit? Comment on s’y prend quand on est devant le mur? Même quand on y a réfléchi comme moi depuis longtemps, même quand on l’a enseigné comme moi, même quand on a écrit dessus comme moi, cela reste une véritable épreuve.
Cela vous aide d’y avoir réfléchi avant? 

C’est incomparable. 
(Entre Matthieu Ricard.) Salut, Maître! (Matthieu Ricard lui caresse l’épaule et s’installe dans une chaise à côté de lui.) Bienvenue. Tu viens d’où? Matthieu Ricard (Chuchotant à son tour.) J’étais en Corse, et avant ça, j’étais au Népal et un peu partout. Je continue…DSS (Reprenant.) Cela m’a aidé à ne pas me sentir pris de court, c’est déjà énorme. La première fois (sa tumeur au cerveau a été diagnostiquée en 1992, il avait 31 ans), je me suis senti très démuni, j’avais le sentiment d’être à poil dans un champ, avec des chasseurs de chaque côté, prêts à tirer. (Il se tourne vers Matthieu Ricard.) Ce n’est pas une image très bouddhique. Aujourd’hui, je suis à poil dans un champ avec des tireurs de chaque côté, mais je suis plus préparé. Cela fait longtemps que je savais que ça allait arriver. Et puis j’ai accompagné des amis à travers le champ.
Bernard Giraudeau, par exemple?

Je l’ai accompagné, mais pas totalement. A la fin, il était trop loin. J’étais moi-même malade, c’était trop compliqué de garder le lien. Il y en a eu d’autres, mais il ne faut pas trop faire de pathos non plus et transformer cela en séances de Grand-Guignol!
Votre dernier livre est aussi une défense de votre méthode «Anticancer» qui insiste, à côté des traitements conventionnels, sur l’importance de l’alimentation, de l’exercice physique et du contrôle du stress dans la lutte contre la maladie…
Je ne voudrais pas que ce qui m’arrive jette un doute sur ma méthode. Je suis censé être Monsieur Anticancer qui fait tout bien – ce qui est vrai d’ailleurs –, et paf!, c’est moi qui fais une rechute. Les gens peuvent se dire: «Si même lui, il n’y arrive pas, comment est-ce que moi, je peux faire?»
Que dites-vous à ceux qui douteraient d’«Anticancer»?

Je leur dis que c’est légitime qu’ils se posent la question. Personnellement, je n’ai aucun doute sur le fait que les méthodes d’«Anticancer» ont un impact majeur pour renforcer les défenses naturelles du corps contre cette maladie, ainsi que bien d’autres d’ailleurs. La science qui soutient ça est solide. Mais il faut savoir deux choses. La première, c’est que je n’ai jamais promis de traitement miracle. Il n’y a pas de traitement miracle contre le cancer, qui est une maladie très difficile. La deuxième, c’est qu’il ne faut surtout pas arrêter les traitements conventionnels: ils ne sont pas efficaces à 100%, mais ils sont essentiels, car ils réduisent la progression de la maladie, voire la font reculer, parfois très nettement. Et ce n’est pas parce qu’on a un copain chez qui la chimio n’a pas marché qu’on va se mettre à crier partout que la chimio ne marche pas! Je leur dis enfin qu’il faut s’accrocher jusqu’au bout parce qu’il y a des traitements qui ralentissent le processus du cancer.
Le programme «Anticancer» a-t-il ralenti la progression de votre tumeur?

Si vous me le demandez, je suis convaincu qu’«Anticancer» a joué un rôle important dans le fait que je survis au cancer depuis maintenant dix-neuf ans, alors qu’au premier diagnostic mes chances n’étaient que de six ans. Je n’ai pas fait d’étude sur 1000 personnes en double aveugle avec un contrôle placebo pour prouver que cela marche. Je ne suis qu’un cas clinique. Mais même mon cancérologue a fini par aller dans mon sens. Lors d’un rendez-vous en janvier dernier, il m’a pris par le bras et m’a dit: «Ecoutez David, tout ce que vous faites à côté, c’est quasi certain que ça marche. Alors, quoi que vous entendiez, quoi qu’on vous dise, ne lâchez pas.» J’étais très fier.
Avez-vous des regrets au sujet de votre mode de vie? 

Moi, je suis passé à côté d’«Anticancer». J’ai vraiment cru que manger comme il fallait – du curcuma, des oignons… – m’autorisait à être moins vigilant sur le stress dans ma vie. Je pensais que quinze minutes de yoga et de méditation tous les matins suffisaient. Mais cela ne contrebalance pas le fait que parcourir trois villes européennes dans la même journée, avec une conférence à chaque fois, c’était trop. Je pense aujourd’hui qu’il faut commencer par maîtriser les sources incessantes de stress.
Vous avez des regrets?
Non.
C’est paradoxal…
Je dirais… ambivalent.
En quoi ce livre vous aide-t-il, vous porte-t-il?

Je suis mieux depuis que j’ai recommencé à écrire. Ecrire engage un processus incroyable: il transforme une expérience personnelle difficile et douloureuse en une contribution qui, avec un peu de chance, sera universelle et chaleureuse. L’idée que mon expérience peut aider d’autres personnes me fait beaucoup de bien. Ce n’est pas gagné, mais il y a une vraie chance, je l’espère. 
(Il croise les doigts.)
Vous écrivez qu’il ne faut jamais baisser les bras. Quels sont vos espoirs aujourd’hui?

L’espoir se situe clairement dans la combinaison des thérapies conventionnelles et des thérapies complémentaires. Il a été prouvé que certains traitements classiques marchent d’autant mieux qu’ils sont associés à des thérapies complémentaires.
Matthieu Ricard, quand on est au pied du mur, tout près de la mort, que dit la philosophie bouddhiste?

Matthieu Ricard: Comme le disait David, la mort est tellement essentielle qu’il faut s’y préparer afin que ce ne soit pas un choc. Le fait qu’un bouddhiste réfléchisse constamment à la permanence et à la mort n’a rien de morbide. C’est au contraire une façon de donner de la valeur à chaque instant qui passe. Dans un ermitage, un ermite va retourner tous les soirs son bol comme si c’était la dernière fois qu’il l’utilisait. Ce n’est pas pour s’attrister mais pour signifier que chaque moment est de l’or fondu qui coule doucement.
Avez-vous dit au revoir à votre ami, David Servan-Schreiber?

Matthieu Ricard On peut s’épargner ça quand même, non? Je ne suis vraiment pas sentimental de ce point de vue-là. Dans le monde où je vis, dans l’Himalaya, cela se fait dans la simplicité, sans pathos! Si le moment est venu, on accompagne la personne avec des conseils spirituels, avec une présence d’amour, d’amitié. Mais faire des sentiments, «ah! mon cher ami, comme je t’ai aimé», ce n’est pas le moment! C’est le moment de trouver le calme et la sérénité. On demande notamment aux gens de ne pas pleurer, de ne pas hurler pour ne pas troubler la personne qui s’en va. Ce moment, quand il arrive, doit se faire comme un prolongement de la pratique spirituelle et pas comme un arrachement. Le monde n’est pas injuste parce que l’on meurt à un moment ou à un autre. Et puis c’est la qualité de la vie qu’on mène jusqu’au dernier moment qui compte. En fait, la mort est l’aboutissement d’une belle vie.
Vous êtes d’accord David Servan-Schreiber? On ne peut pas réussir sa mort si on n’a pas réussi sa vie?

On le peut, mais c’est plus compliqué. C’est plus simple si on a donné un sens.

On peut se dire au revoir plusieurs fois, Robert Laffont, 2011