lundi 25 juin 2012

Le désaccord

"Il n'est pas rare qu'un désaccord entre amis, alimenté par une réplique cinglante, fasse naître par après une charité plus grande : c'est le cas lorsque sont corrigés les traits qui paraissent déplaisants chez l'ami."

Isidore de Séville, Livre III, Sur le bien suprême.

lundi 18 juin 2012

Rabbi Nachman de Breslau

"Là où sont tes pensées, tu es. Veille donc à ce que tes pensées soient bien là où tu veux être."

Christian Bobin - La folle allure (Extrait)

La légèreté, elle est partout, dans l’insolente fraîcheur des pluies d’été, sur les ailes d’un livre abandonné au bas d’un lit, dans la rumeur des cloches d’un monastère à l’heure des offices, une rumeur enfantine et vibrante, dans un prénom mille et mille fois murmuré comme on mâche un brin d'herbe, dans la fée d’une lumière au détour d’un virage sur les routes serpentines du Jura, dans la pauvreté tâtonnante des sonates de Schubert, dans la cérémonie de fermer  lentement les volets le soir, dans une fine touche de bleu, bleu pale, bleu-violet, sur les paupières d’un nouveau-né, dans la douceur d’ouvrir une lettre attendue, en différant une seconde l’instant de la lire, dans le bruit des châtaignes explosant au sol et dans la maladresse d’un chien glissant sur un étang gelé, j’arrête là, la légèreté , vous voyez bien, elle est partout donnée. Et si en même temps, elle est rare, d’une rareté incroyable, c’est qu’il nous manque l’art de recevoir, simplement recevoir ce qui nous est partout donné.

Sublime & exceptionnel tableau provenant d'une collection privée


vendredi 8 juin 2012

Découverte : Ted Hughes Poèmes (1957-1994) trad. de l'anglais par Jacques Darras et Valérie Rouzeau, préface de Jacques Darras Gallimard, 2009

« Il y a des blaireaux écrasés, des agneaux qui naissent la tête tranchée, des saumons monstres tapis au fond de lacs écossais opaques, qu'on ferre et qui résistent de toute leur puissance vitale. Il y a des faucons, des brochets, des renards nocturnes, bref toute une galerie de prédateurs sur lesquels règne, cynique et dérisoire, un corbeau mythique du nom de Crow. Ted Hughes n'est pas qu'un poète animalier, comme on a trop vite cru. C'est un explorateur de la cruauté qui est au fond de l'être vivant, bête ou homme. Une espèce de poète darwinien moderne ayant croisé les chemins de la fable celtique ancienne. L'héritier de Yeats l'Irlandais mais aussi du guerrier de la Somme Wilfrid Owen, essayant d'articuler ensemble la beauté, la terreur et la pitié. »  (Jacques Darras, dos du livre)

Antony and the Johnson - Alda Merini_Non ho bisogno di denaro

dimanche 3 juin 2012

RÉVERENCE

Face à sa mort imminente, entouré de ses vrais amis (Le Bret et Ragueneau, qui connaissent ses faiblesses) et de Roxane, sous la lune qui lui est si chère (référence au Voyage dans la lune écrit par le vrai Cyrano de Bergerac), Cyrano fait ses adieux. Il décide de se lever pour ne pas attendre la mort passivement, pour livrer, seul, son dernier combat, ce combat qu'il a mené toute sa vie durant, contre tous les maux de l'homme et de la société. Ses derniers mots (ultima verba), consacrés à
« son panache », évoquent à la fois son chapeau orné d'une plume et sa bravoure, traits physique et moral qui ont défini ce héros chevaleresque de cape et d'épée tout au long de la pièce.

CYRANO, est secoué d'un grand frisson et se lève brusquement.
— Pas là ! non ! pas dans ce fauteuil !
On veut s'élancer vers lui.
Ne me soutenez pas ! — Personne !
Il va s'adosser à l'arbre.
Rien que l'arbre !
Silence.
Elle vient. Je me sens déjà botté de marbre,
Ganté de plomb !
Il se raidit.
Oh ! mais !… puisqu'elle est en chemin,
Je l'attendrai debout,
Il tire l'épée.
Et l'épée à la main !
LE BRET. — Cyrano !
ROXANE, défaillante. — Cyrano !
Tous reculent épouvantés.
CYRANO. — Je crois qu'elle regarde…
Qu'elle ose regarder mon nez, cette Camarde !
Il lève son épée.
Que dites-vous ?… C'est inutile ?… Je le sais !
Mais on ne se bat pas dans l'espoir du succès !
Non ! non, c'est bien plus beau lorsque c'est inutile !
Qu'est-ce que c'est que tous ceux-là ! — Vous êtes mille ?
Ah ! je vous reconnais, tous mes vieux ennemis !
Le Mensonge ?
Il frappe de son épée le vide.
Tiens, tiens ! — Ha ! ha ! les Compromis,
Les Préjugés, les Lâchetés !…
Il frappe.
Que je pactise ?
Jamais, jamais ! — Ah ! te voilà, toi, la Sottise !
Je sais bien qu'à la fin vous me mettrez à bas ;
N'importe : je me bats ! je me bats ! je me bats !
Il fait des moulinets immenses et s'arrête haletant.
Oui, vous m'arrachez tout, le laurier et la rose !
Arrachez ! Il y a malgré vous quelque chose
Que j'emporte, et ce soir, quand j'entrerai chez [Dieu,
Mon salut balaiera largement le seuil bleu,
Quelque chose que sans un pli, sans une tache,
J'emporte malgré vous,
Il s'élance l'épée haute.
Et c'est…

L'épée s'échappe de ses mains, il chancelle, tombe dans les bras de Le Bret et de Ragueneau.
ROXANE, se penchant sur lui et lui baisant le front.

— C'est ?…
CYRANO, rouvre les yeux, la reconnaît et dit en souriant

— Mon panache.