dimanche 16 septembre 2012

Ornella Vanoni - Dettagli

A LIRE : «Contre la barbarie» Klauss Mann

AUTEUR :
Klaus Mann est né le 18 novembre 1906 à Munich. Il entre en littérature au début de la république de Weimar. Adversaire du nazisme, il quitte l’Allemagne en 1933 et est déchu de sa nationalité en 1935. Il se suicide à Cannes, le 21 mai 1949. Son talent s’est aussi bien exprimé dans le roman que l’essai, le théâtre et l’autobiographie. Son œuvre est aujourd’hui considérée comme l’une des plus importantes de la littérature allemande. Contre la barbarie (Phébus, 2009) et Point de rencontre à l’infini (Phébus, 2010) en sont les preuves irréfutables.


«Autant aller directement à l'essentiel: cette lettre de Klaus Mann adressée à Stefan Zweig en octobre 1930, juste après le succès électoral des nazis au Reichstag, succès étourdissant, jugé par Zweig dans un article comme un signal de la jeunesse «contre les lenteurs de la haute politique». Zweig trouve «naturelle» cette révolte des jeunes; ce ne serait que pour ses propres goûts personnels, il n'y mettrait bien sûr pas le petit doigt, mais il est d'humeur compréhensive. Les jeunes... La réponse de Klaus Mann à l'illustre auteur est cinglante:
«Tout ce que fait la jeunesse ne nous montre pas la voie de l'avenir Moi qui dis cela, je suis jeune moi-même. La plupart des gens de mon âge - ou des gens encore plus jeunes - ont fait, avec l'enthousiasme qui devrait être réservé au progrès, le choix de la régression. C'est une chose que nous ne pouvons sous aucun prétexte approuver. Sous aucun prétexte.»
Toute la suite de cette réponse est un prodige d'insolence respectueuse, de lucidité ardente; elle pourrait servir d'emblème à ce recueil de textes réunis aujourd'hui grâce aux bons soins de Dominique-Laure Miermont. Articles, lettres, réponses à des questions, ils ont tous en commun cette même vigueur, ce même irrespect fondamental et immédiat pour la mauvaise puissance qui entraîne son pays, et quel pays: l'Allemagne, la merveilleuse Allemagne de Bach et Goethe, de Novalis et Heine. Comment une telle chose aura-t-elle été possible? A la vérité, le Klaus Mann de 1930, prenant sur lui de tancer le grand Zweig, a déjà saisi la mesure des événements, il a déjà fait ses comptes. Il a observé, à moins d'un mètre, Hitler à la terrasse d'un tea-room munichois, se gavant de tartelettes à la framboise (la scène figure dans «le Tournant»), et il a compris tout de suite qu'on avait affaire à un «minable».
Voici donc cet enfant de l'exquise République de Weimar, ayant goûté au vertige du frivole, capable soudain de cette sagesse, d'une incroyable capa cité de recul, de dessillement: il demeure l'ange bouleversant, le noctambule des temps new-yorkais de l'émigration solitaire, preneur de drogue et de sexe et en même temps, oui, ce sage qui résiste pied à pied aux chimères du Nouveau. Car il ne faut pas s'y tromper, et Klaus Mann ne s'y est pas trompé: ce qui a fait au début le succès des nazis, ce fut d'abord d'incarner une forme de modernité, une excellence dans ce que nous appelons aujourd'hui l'art de la «com».
Klaus Mann n'était pas juif, il était pétri de cette culture allemande dont son père, Thomas Mann, le Magicien, et son oncle Heinrich, le républicain, l'admirateur de Zola et de la France, furent pour lui les si précieux transmetteurs: on a vu dans d'autres cas comme cet héritage incomparable se révéla insuffisant. Klaus Mann eût pu rejoindre les rangs de cette élite culturelle, littéraire, qui trouvait aux nazis un air original, quasi amusant, certes un peu vulgaire, mais allant dans le bon sens. Combien d'écrivains européens furent capables, au même moment, d'une telle capacité de discernement?

Destin tragique

C'est qu'on touche ici au point central de la solitude qui fut celle de Klaus Mann tout au long de ces années. Et laissons donc ici cette lancinante complainte du fils maudit, écrasé par le génie paternel. Klaus Mann était allemand, il a aimé l'être jusqu'à la fin: on veut dire par là que l'Allemagne est restée pour lui un de ces lieux du monde où le Beau s'est montré, et on ne peut lire ici sans être profondément ému ces pages de confiance adressées malgré tout à son pays, aux gens qui y vivent. Klaus Mann n'a jamais cru qu'il y avait autre chose, dans le nazisme, qu'un terrifiant pouvoir d'enlaidissement et de destruction de ce qu'il y a de meilleur et de plus beau ici-bas.
Autre point encore, dont témoignent ces textes et qui est fondamental pour la lecture que nous allons en faire désormais: la lucidité dont Klaus Mann fait preuve à l'égard de l'URSS et de son maître de l'époque,Staline. Cela explique en quoi Klaus Mann reste un contemporain capital du XXe siècle. Et pas seulement pour la mémoire. Le destin tragique de Klaus Mann, qui se suicide à Cannes le 21 mai 1949, dans le plus grand isolement, échappe à ces nobles besoins mémoriels que nous avons sans cesse à la bouche. Ce qu'il nous transmet est d'une autre nature: il y a dans ces textes comme dans tous ses livres une aptitude à la nuit de l'homme lucide qui ne tient pas dans les seules limites du militant, fût-il prophétique. D'une certaine manière, Klaus Mann est une incarnation bouleversante du XXe siècle dans tout ce qu'il peut avoir à la fois d'ardent et de désespéré.»

De l'amitié - Droz.


[...] S'il est rare de trouver des amis, n'est-il pas à peu
 près aussi rare qu'on en cherche réellement.
Je vois l'intérêt ou le plaisir rompre des noeuds légers, formés pour un seul jour, et j'entends accuser l'amitié,
qui, cependant, leur était étrangère !
 
On aime son ami sans intérêt vulgaire, on l'aime pour
en être aimé ; il fait partie de notre famille :
un ami est un frère que nous avons choisi. [...]
Tous les échanges sont avantageux avec un être
 qu'on aime et dont on est aimé.
S'il souffre, on partage ses peines ; mais la douleur
qu'on ressent est adoucie par la certitude
d'alléger la sienne,
et par cette émotion qui naît dans notre âme
aussitôt que nous remplissons un devoir.
Lorsqu'à son tour on éprouve un revers,
au lieu de se trouver seul avec le malheur, on reçoit
des consolations si tendres, si touchantes
 qu'on cesse d'accuser le sort pour bénir l'amitié. [...]


Un ami est d'une autre nature que le reste des hommes. Ceux-ci nous dissimulent nos défauts, ou nous
en font apercevoir avec malignité ;
un ami nous en parle sans nous blesser ;
 il nous reproche nos fautes, et,
dans le monde, il sait les excuser.
On ne sent à quel point il peut être cher qu'après
avoir été longtemps le compagnon fidèle
de sa bonne et de sa mauvaise fortune.
 Que d'émotions on éprouve en se livrant au souvenir
 des périls communs, si l'on a traversé avec lui
les orages d'une longue révolution !
 
Ce n'est jamais sans attendrissement qu'on se dit :
Nous avions mêmes pensées et mêmes espérances ;
tel événement nous pénétra de joie,
tel autre nous fit gémir.
 Unissant nos efforts, un jour nous parvînmes à sauver
un infortuné ;
il nous pressa tous deux ensemble dans ses bras.
Bientôt des dangers nous menacèrent : il fallut fuir,
le sort, nous sépara ; mais nous étions toujours
 présents l'un à l'autre.
 
 Il craignait pour moi, je craignais pour lui.
 Je lisais encore dans son âme ; je disais :
Telle frayeur l'agite, il forme tel projet, il conçoit
telle espérance. Enfin, nos peines ont disparu ;
et combien le repos a de charmes !
nous le goûtons ensemble.
 
C'est une absurdité que de s'enorgueillir de la réputation
d'un homme à qui l'on est uni par les liens du sang ;
 mais on peut être fier des rares qualités de son ami.
Les noeuds qu'il a formés ne sont point l'ouvrage
du hasard ; et, puisqu'on a mérité son estime,
 on lui ressemble au moins par les qualités du coeur.
 
Je prends une haute opinion de l'homme à qui j'entends exagérer ou les talents ou les vertus de ses amis.
 Il possède les qualités dont il parle, puisqu'il a
 besoin de les supposer à ceux qu'il aime. [...]
En révérant l'amitié, ne craignons point d'assigner
le rang qu'elle doit occuper dans nos coeurs.
 Une femme est la véritable compagne de notre destinée,
 et l'amitié ne doit être que l'auxiliaire de l'amour. [...]
On ne profane point le nom d'ami en le donnant
à plusieurs hommes, s'ils inspirent une haute estime,
 un tendre intérêt, si l'on ressent toutes leurs peines,
 tous leurs plaisirs, et si l'on est capable
de dévouement envers eux. [...]
 
Oh ! pourquoi l'amour et l'amitié peuvent-ils
cesser d'exister ?
 Pourquoi ne sont-ils pas éternels dans tous les coeurs ?
 Si l'on est trompé dans ses affections,
le plus sûr moyen d'adoucir sa douleur est de former
 encore des résolutions généreuses pour conserver,
pour exalter l'estime de soi-même.
 
Si ton ami t'abandonne, si ta femme se rend indigne
de ton amour, n'ajoute pas au poids de tes chagrins
le fardeau de la haine ; qu'elle ne prenne jamais la place
 des sentiments qui faisaient ton bonheur :
pardonne aux êtres dont tu fus aimé les peines
qu'ils te causent, en te souvenant des jours
qu'ils ont embellis pour toi. [...]
 
 
Joseph Droz, Essai sur l'art d'être heureux

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