dimanche 3 juin 2012

RÉVERENCE

Face à sa mort imminente, entouré de ses vrais amis (Le Bret et Ragueneau, qui connaissent ses faiblesses) et de Roxane, sous la lune qui lui est si chère (référence au Voyage dans la lune écrit par le vrai Cyrano de Bergerac), Cyrano fait ses adieux. Il décide de se lever pour ne pas attendre la mort passivement, pour livrer, seul, son dernier combat, ce combat qu'il a mené toute sa vie durant, contre tous les maux de l'homme et de la société. Ses derniers mots (ultima verba), consacrés à
« son panache », évoquent à la fois son chapeau orné d'une plume et sa bravoure, traits physique et moral qui ont défini ce héros chevaleresque de cape et d'épée tout au long de la pièce.

CYRANO, est secoué d'un grand frisson et se lève brusquement.
— Pas là ! non ! pas dans ce fauteuil !
On veut s'élancer vers lui.
Ne me soutenez pas ! — Personne !
Il va s'adosser à l'arbre.
Rien que l'arbre !
Silence.
Elle vient. Je me sens déjà botté de marbre,
Ganté de plomb !
Il se raidit.
Oh ! mais !… puisqu'elle est en chemin,
Je l'attendrai debout,
Il tire l'épée.
Et l'épée à la main !
LE BRET. — Cyrano !
ROXANE, défaillante. — Cyrano !
Tous reculent épouvantés.
CYRANO. — Je crois qu'elle regarde…
Qu'elle ose regarder mon nez, cette Camarde !
Il lève son épée.
Que dites-vous ?… C'est inutile ?… Je le sais !
Mais on ne se bat pas dans l'espoir du succès !
Non ! non, c'est bien plus beau lorsque c'est inutile !
Qu'est-ce que c'est que tous ceux-là ! — Vous êtes mille ?
Ah ! je vous reconnais, tous mes vieux ennemis !
Le Mensonge ?
Il frappe de son épée le vide.
Tiens, tiens ! — Ha ! ha ! les Compromis,
Les Préjugés, les Lâchetés !…
Il frappe.
Que je pactise ?
Jamais, jamais ! — Ah ! te voilà, toi, la Sottise !
Je sais bien qu'à la fin vous me mettrez à bas ;
N'importe : je me bats ! je me bats ! je me bats !
Il fait des moulinets immenses et s'arrête haletant.
Oui, vous m'arrachez tout, le laurier et la rose !
Arrachez ! Il y a malgré vous quelque chose
Que j'emporte, et ce soir, quand j'entrerai chez [Dieu,
Mon salut balaiera largement le seuil bleu,
Quelque chose que sans un pli, sans une tache,
J'emporte malgré vous,
Il s'élance l'épée haute.
Et c'est…

L'épée s'échappe de ses mains, il chancelle, tombe dans les bras de Le Bret et de Ragueneau.
ROXANE, se penchant sur lui et lui baisant le front.

— C'est ?…
CYRANO, rouvre les yeux, la reconnaît et dit en souriant

— Mon panache.

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