jeudi 23 juin 2011

Christian Bobin, Ressusciter, p. 139 et 140

" À l'hôpital psychiatrique où je travaillais, près de Besançon, un malade est accouru vers moi le premier jour, bras ouverts, me disant : je vous reconnais, vous êtes Dieu. J'ai éclaté de rire et répondu négativement en m'excusant de le décevoir. Il a ri à son tour. Les jours suivants, lorsque nous nous croisions dans les couloirs, nous nous entretenions avec le même entrain de ce Dieu dont il avait entendu dire tant de bien et qu'il ne trouvait nulle part. J'avais plaisir à voir cet homme ainsi que ses compagnons d'infortune. Je ne connaissais de trouble que dans les minutes précédant ma journée de travail, quand j'écoutais les infirmiers, dans leur bureau, parler de femmes, de voitures et d'argent. Le vide de leurs conversations m'apparaissait plus insondable que la folie des malades.

Un matin, un médecin m'a pris à part comme on gronde un enfant sans vouloir l'humilier et m'a suggéré de mettre un peu plus de distance entre les malades et moi. Vous n'êtes pas vraiment fait pour ce métier, m'a-t-il dit en souriant. Il n'avait pas tort, même si enlever la folie du coeur d'un homme est plus un don qu'un métier. Je suis parti un peu plus tard, non sans saluer une dernière fois celui qui s'épuisait du matin au soir à chercher Dieu dans le premier venu. Qui sait. Peut-être a-t-il un jour trouvé. "

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